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Monstres dans tous leurs états

gourde : Scylla

Une jeune femme, belle et monstrueuse à la fois, qui personnifierait un écueil du détroit de Messine emprunté par Ulysse lorsqu’il vogue de « Charybde en Scylla » : le tourbillon Charybde serait du côté de la côte sicilienne, le récif  Scylla – ou Skylla – du côté de la péninsule italienne. Belle et monstrueuse. C’est ainsi que Scylla était représentée dans l’Antiquité mais, avant l’époque classique, elle était un animal monstrueux bruyant, redoutable et cruel : elle est d’abord décrite par Homère, dans le chant XII de l’Odyssée, comme une créature ayant douze pieds et, au bout de six interminables cous, des têtes à triple rangée de dents. Pour s’éloigner de Charybde, Ulysse approche son navire de la caverne où Scylla se tapit mais elle s’empare de six marins qu’elle dévore sauvagement.

Expression d’une nature dangereuse chez Homère, créature dont la monstruosité est expliquée par sa généalogie dans d'autres sources textuelles (parmi ses supposés parents monstrueux ou faiseurs de monstres : Phorkys, Lamia, Echidna, Typhon), Scylla est une belle jeune femme brusquement transformée en une créature mi-humaine mi-animalière selon une légende relatée à la fin du Ier s. av. J.-C. ou au début du siècle suivant par les poètes latins Virgile (Énéide) et Ovide (Métamorphoses). Cette hybridité résulte alors d’un dépit amoureux : Glaucos, un pêcheur devenu dieu marin, s'éprend de la belle nymphe Scylla ; il demande à Circé un philtre pour que son amour soit payé de retour. La magicienne, elle-même séduite par Glaucos, prépare par jalousie une potion à verser dans l’eau où se baigne la belle. Au contact de l’eau, celle-ci se transforme aussitôt en monstre, la partie inférieure de son corps devenant marine tandis que des chiens sortent de sa taille. Des auteurs tardifs attribuent cette métamorphose à Amphitrite qui se venge des sentiments que Poséidon ressent pour Scylla, ou à Poséidon de l'amour que Scylla porte à Glaucos.

Ce n'est pas le monstre homérique que les artistes représentent dès le Ve s. av. J.-C., c'est cet être composite. Scylla est d’abord figurée dans une variante à une queue pisciforme, comme les tritons de cette période. Les protomés (parties antérieures) de chien la distinguent. Sur l’intaille en cristal de roche, elle ressemble aux plus anciennes images connues de ce type, des reliefs méliens daté vers le milieu ou le 2e tiers du Ve s. apr. J.-C. A cette époque, Scylla est vêtue d’une tunique courte qui masque les jonctions entre parties humaine et parties animales.

Relief mélien (Recueil Muret vol I, pl. 9.  ark:/12148/btv1b84192514) Relief mélien
(Recueil Muret vol I, pl. 9. BnF ark:/12148/btv1b84192514)

Les œuvres la montre parfois pacifique parfois agressive. Dans ce dernier cas, elle figure dans des illustrations de l’épisode homérique, comme sur la cornaline, ou dans images sans contexte narratif, pour sa dangerosité ou sa force invincible.

Les créations d’Italie méridionale, les plus nombreuses, présentent des variantes. Scylla peut avoir plusieurs queues et un nombre variable de chiens, les artistes exploitant sa plasticité pour adapter le motif aux compositions symétriques ou aux supports à décorer. Certaines images italiotes partagent un trait distinctif qui pourrait rappeler le monstre homérique : comme sur la gourde en terre cuite, une tête de kétos - de dragon - remplace la nageoire caudale au bout de la queue. Cette particularité pourrait aussi remonter à l'imagerie étrusque, riche d’hybrides marins, anguipèdes ou serpentiformes dont la variété témoigne de la fantaisie des artistes et d’influences diverses qui ornent souvent des monuments funéraires. Porteuse d’une symbolique funéraire, comme les autres hybrides marins de la mythologie, Scylla occupe aussi l’espace aquatique de l’outre-tombe.

sarcophage punique de Carthage (dessin, 1906. http://www.limc-france.fr/photo/811) Sarcophage punique de Carthage
(dessin, 1906. http://www.limc-france.fr/objet/496)