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Monstres dans tous leurs états

figurine : triton ou tritonesse

La multitude surgit dès l'époque classique.
Alors que Triton, fils de Poséidon, ne trouve guère sa place sur les images, hormis sur les vases grecs de la série de sa lutte contre Héraclès et quelques autres documents où il est parfois désigné par une inscription de son nom, le type de l'hybride au buste humain se terminant en queue de poisson se répand dans sa version masculine. Prêts à aider les Néréides lors du transport de l'armement d'Achille, ou compagnons de ces déesses qu'ils portent sur les flots dans des scènes plus galantes, ces "tritons" génériques et anonymes peuplent les scènes marines. Participants des cortèges de Poséidon-Neptune ou de Vénus marine, ils mènent des chevaux marins, tiennent des gouvernails ou jouent de la musique en soufflant dans de longs coquillages. C'est dans ces attitudes qu'ils symbolisent l'élément marin sur décors architecturaux réels (le phare d'Alexandrie) ou fictifs celui du "Plat d'Achille". Ils sont aussi des porteurs, de Vénus dans sa coquille, des Néréides et, par la connotation funéraire accordée aux personnifications marines capables de traverser les flots jusqu'au monde inaccessible aux mortels vivants, ils sont passeurs psychopompes, c'est-à-dire qu'ils transportent le défunt dans l'outre-tombe.

Le monde étrusque et la période hellénistique apportent la variété.
Le triton à une queue de poisson ressemble aux Apkallu (ou Abgal) mésopotamiens, les "Sept Sages" civilisateurs créés par Enki/Ea et émergés de l'eau douce (Apsu), représentés parfois avec le bas du corps en poisson ou recouvert d'un vêtement pisciforme. Après ce type apparaît celui du triton à double queue, qui rappelle la Skylla à double queue pisciforme. Là encore, cette variante qui permet une adaptation à la forme du support de l'image ou à l'usage de l'objet, pourrait dériver des hybrides très variés qu'offre l'art étrusque (êtres féminins ou masculins anquipèdes, à jambes pisciformes...), ou des représentations des Géants aux jambes serpentiformes.

Quant à la version féminine du triton, la tritonesse (ou tritonne ou tritonide), elle est peu fréquente. Quelques objets grecs archaïques, étrusques, puis romains, encore conservés nous la font connaître. Les artistes romains semblent en exploiter les qualités visuelles - les queues de poisson permettant de s'adapter aux formes variées des supports - pour enrichir la variété de leur imagier et créer un pendant féminin aux tritons.

Variété et valeur esthétique pourraient avoir participé à la création du Centaure marin, l'Ichthyocentaure, un type iconographique mêlant le buste humain, les pattes antérieures équines du Centaure et la queue de poisson à partir de la taille. Le succès du personnages est tel qu'il concurrence le triton, voire le supplante dans l'art romain au point que les artistes proposent de subtiles variantes de tritons aux proéminantes nageoires antérieures semblant articulées comme des antérieurs d'équidé. L'un des plus vieux exemples connus d'Ichthyocentaure a été trouvé près des rives nord de la mer Noire (Anapa, péninsule de Taman) : l'une des petites appliques décoratives en terre cuite d'un sarcophage utilisé à la fin du IVe s. av. J.-C., petites appliques rappelant celles de sarcophages contemporains de Tarente ; celles d'Anapa pourraient être l'oeuvre d'artisans tarentins. Le schéma de l'Ichthocentaure aurait alors été créé en Italie méridionnale, ce que semble confirmer l'oenochoé étrusque de la collection (De Ridder.1013).