Mythes et images au Cabinet des médailles
Exceptionnelle par ses dimensions, par la qualité de la pierre -une sardonyx à cinq couches-, cette gemme l'est aussi par sa composition complexe, à vingt-quatre figures réparties en trois registres, qui représentent un événement historique à la cour de l'empereur Tibère.
Sa présence dans un trésor d'église s'explique par l'interprétation qui en était faite au Moyen-Age, le triomphe de Joseph à la cour d’Egypte. Mais dès 1620, l’érudit provençal Nicolas-Claude Fabri de Peiresc y avait reconnu, grâce à sa familiarité avec les monnaies romaines, des personnages de la première dynastie de l’empire romain. Si l’identification exacte des personnages reste encore aujourd’hui très controversée, conséquence du caractère fortement idéalisé des portraits, la signification générale et les visées politiques de cette œuvre de commande sont claires : son but est d’affirmer la continuité et la légitimité dynastique des Julio-Claudiens et l’unité de la famille impériale. Si l’idéalisation de certains visages tel celui de la femme à l’extrême gauche, dont la coiffure échappe à la mode du Ier siècle, ou du personnage en vol, vêtu à l’orientale, fait hésiter entre personnages réels et allégories, d’autres sont identifiables.
Dans la partie supérieure, évocatrice de l’Olympe, prennent place les morts héroïsés : au centre, le fondateur de la dynastie, Auguste, la tête ceinte de la couronne radiée, entouré par Drusus II à gauche, au profil caractéristique et par Germanicus s’envolant, la chlamyde au vent, monté sur Pégase.
Le registre médian est occupé par le monde des vivants : l’empereur et ses descendants et héritiers possibles. Au centre de la composition est assis Tibère (14-34 ap. J.-C .), à demi-nu, les jambes recouvertes de l’égide de Jupiter, tenant un long sceptre et le lituus, accompagné de sa mère, Livie, veuve d’Auguste. Debout devant eux, se tient le personnage clef de l’interprétation, probablement le fils aîné de Germanicus, Nero Drusus, le visage ombré du duvet léger des adolescents. De l’autre côté, son cadet, Drusus III, élève un trophée vers leur père. A l’extrême gauche, vu de face, leur jeune frère, Caligula, chaussé des chaussures des soldats (caligae) foule un monceau d’armes. A l’exergue, des captifs barbares, Parthes aux bonnets phrygiens et Germains aux longs cheveux, ploient littéralement sous le poids de la domination romaine. C’est après la mort de son fils Drusus en 23 que Tibère désigna comme son héritier Nero Drusus, alors âgé de 18 ans, et le présenta au Sénat. Une datation entre 23 et 29, date de la mort de Livie, semble la plus plausible.
Œuvre emblématique, le Grand Camée a dû suivre les empereurs, lorsque le centre du pouvoir se déplaça de Rome à Byzance. Cité, avant 1279, dans le premier inventaire du trésor, il est probable que Saint Louis l’ait acquis de Baudoin II, empereur de Constantinople, même s’il n’est pas explicitement cité, en 1247, dans l’acte de cession des reliques. Mis en gage à Avignon auprès du pape Clément VI en 1343, il revint dans le trésor en 1379, pour ne plus en sortir. Témoignage de son passage à Constantinople, il était serti dans une monture byzantine en bois plaqué d'argent doré, décorée de pierres précieuses et d'émaux, complétée par Charles V en 1379 par une base en argent doré, à arcatures et cristaux. Le 26 février 1791, Louis XVI exprime le souhait que les pierres précieuses du trésor de la Sainte Chapelle soient soustraites à la vente et transportées au Cabinet des Médailles; c'est chose faite le 1er mai 1791. Les tribulations du camée ne s'arrêtent cependant pas là : la nuit du 16 février 1804, les objets les plus précieux du Cabinet des médailles furent volés. Le Grand camée et la coupe des Ptolémées furent retrouvés, mais privés de leurs montures médiévales, fondues.